On est à raison sensible aujourd’hui à une image trop exclusivement masculine de Dieu. Malgré les réticences de l’Église officielle, certaines prières d’adressent à Dieu comme Père et Mère, et cela me paraît tout à fait légitime (il y a des expressions explicitement maternelles de Dieu dans l’Ancien Testament. Sans argumenter ici, je pense qu’il y a de bonne raison de s’adresser à Dieu de façon privilégiée comme Père (entre autres à partir du Notre Père), et je ne suis guère enthousiaste pour l’écriture inclusive Dieu∙e.
Il y a peut-être une voie permettant de valoriser la dimension féminine de Dieu, à partir de l’image trinitaire et de la figure de l’Esprit. Je ne sais cependant pas bien comment concrètement mettre en œuvre cette possibilité dans notre culture et notre langage. Ces pistes peuvent cependant contribuer à déconditionner notre imaginaire religieux. Je donne quatre indications allant en ce sens.
1. Le mot qui dit l’Esprit en hébreu ou en araméen est ‘ruah’ (souffle) est un mot féminin. Par ailleurs, la Sagesse, telle qu’elle apparaît dans le livre de la Sagesse et dans celui des Proverbes, livres grecs, est la ‘sophia’, mot également féminin, et la tradition identifie souvent cette Sagesse avec l’Esprit. Mais en grec, l’Esprit est ‘pneuma’, mot neutre, dont les adjectifs sont masculins, et en latin, c’est ‘spiritus’ qui est masculin, d’où vient d’ailleurs notre mot ‘Esprit’.
2. Dans la littérature syriaque ancienne, le syriaque étant directement dérivé de l’araméen, la langue de Jésus, l’Esprit est toujours un terme féminin. Les substantifs n’ont pas d’article, mais le pronom qui suit éventuellement dans la phrase est féminin et les adjectifs sont féminins, d’où la difficulté de traduction dans nos langues, en français par exemple. Il en est ainsi dans les anciennes versions syriaques de la Bible, pour les parties qui en sont conservées. Ainsi, Jn 14, 26 : « La sainte Esprit, la Consolatrice, vous enseignera toutes choses. »
Le premier théologien syriaque dont des textes ont été conservés est Aphrahat, à la première moitié du 4e s. Au sujet du baptême, il écrit : « Au moment même où le prêtre invoque l’Esprit, elle ouvre les cieux et descend et plane sur les eaux [comme en Gn 1, 2], et elle se pose sur ceux qui sont baptisés. » Pour cet auteur, l’Esprit est non seulement une figure féminine, mais elle est notre mère. Ainsi, dans une exaltation de la virginité, commentant la Genèse qui dit que l’homme quittera son père et sa mère pour se marier, Aphrahat dit : avant de se marier, « il aime et révère Dieu son père et l’Esprit sainte sa mère. Mais lorsqu’un homme prend une femme il quitte son véritable père et sa véritable mère. »
De même chez Éphrem de Nisibe, diacre reconnu comme docteur de l’Église, au milieu du 4e s. Dans une hymne pour Noël il dit : « En cette fête, que chacun ouvre la porte de son cœur. Que l’Esprit Sainte désire entrer par cette porte pour résider et sanctifier. Elle s’approche de toutes les portes pour voir où elle peut résider. »
Cet usage du féminin pour l’Esprit a été abandonné dans les textes syriaques à partir du 5e s., pour deux raisons sans doute. D’une part linguistiquement, le grec et le latin s’imposent : pneuma en grec est neutre et les adjectifs sont dès lors masculins, et spiritus en latin est masculin. Mais il y a sans doute aussi une autre raison : si certains textes semblaient dire que Jésus est né de Dieu père et de l’Esprit mère, cela pouvait conduire à une image trinitaire où le Fils est né du Père et de la Mère Esprit, ce qui était effectivement dit dans divers écrits gnostiques. Il fallait prendre distance par rapport à une telle représentation.
3. L’image féminine de l’Esprit n’a cependant pas totalement disparu. Il y a quelques années, en restaurant l’église d’Urschalling, en Bavière, on a découvert une fresque qui avait soigneusement été recouverte, parce qu’elle choquait sans doute. Cette fresque représente la Trinité. L’Esprit au centre (très généralement, c’est le Père qui est au centre) est une figure féminine. Cette fresque date de la fin du 14e s., époque des béguinages portés par une revendication spirituelle féminine, parfois quelque assez anticléricale.
4. Dans la tradition iconographique russe, l’Esprit qui inspire les évangélistes est aussi régulièrement représenté sous une figure féminine avec une auréole en double losange, symbole de la divinité.
Novembre 2017 : le nouveau livre de culte suédois (Église luthérienne) met l’Esprit au féminin à partir de la traduction de la Bible qui tient compte du genre du mot Ruah.
Y aurait-il là un chemin permettant de valoriser plus sérieusement les traits féminins de Dieu tels qu’ils apparaissent dans le texte biblique, et donc de relativiser le caractère trop exclusivement masculin de Dieu transmis par la tradition ? Cette question n’est pas tout à fait étrangère à notre thème de la sollicitude qui, lorsqu’elle est attribuée à Dieu, se situe plutôt du côté de ses traits féminins.
Pas plus que Dieu est un homme, Pas davantage l’Esprit est une femme. L’anthropomorphisme peut être amusant mais ce n’est qu’une coquetterie de l’esprit humain… Vouloir réhabiliter l’image de la femme par cet exercice peut être amusant mais c’ est une tromperie…