« Je t’ai contemplé au sanctuaire »

« Je t’ai contemplé au sanctuaire »

Bons amis ensemble appréciant la vue de coucher du soleil

Partage personnel lors d’une réunion de fraternité (7 décembre 2020).

Qu’elle est belle cette confidence du psalmiste ! Mais ce sanctuaire dépasse les limites de n’importe quel édifice fait de main d’homme, il déborde infiniment tout concept ou image que nous pouvons nous en faire. En témoignent ces quelques citations:

Il y a « dans la nature, et en nous-mêmes, l’oeuvre d’une Puissance qui se communique et d’un Amour qui se partage »
– Jean Ladrière1

« On peut être pauvre, si l’on sait s’émerveiller, on est riche. On peut être riche, si on ne sait pas s’émerveiller, on est pauvre. On passe à côté de l’essentiel, on manque la beauté du monde, la richesse des êtres humains, la profondeur de l’existence.« 
– Bertrand Vergely 2

« J’ai en moi une immense confiance. Non pas la certitude de voir la vie extérieure tourner bien pour moi, mais celle de continuer à accepter la vie et à la trouver bonne, même dans les pires moments. »
– Etty Hillesum

Autrement dit, ce sanctuaire, il est en nous et autour de nous, il est un mystère d’amour et de sollicitude envers tous et envers toute chose. Ce mystère nous habite au plus profond de nous-mêmes, il nous traverse et nous soulève, au-delà de nous-même, de façon inexplicable. Paradoxe: cette puissance d’amour nous constitue et nous enveloppe de toutes parts mais en même temps, elle est au-delà de nous, infiniment distincte.

Dans la nature, dans l’univers, dans l’histoire du monde et de l’humanité, nos yeux peuvent percevoir également un mystère de beauté et de bonté, nous arrivons quelques fois à y communier. Et cela nous invite à respecter infiniment la nature.

Cette puissance de beauté, de bonté, d’amour EST, au sens profond du verbe « être ». Mais on peut dire aussi elle n’existe pas, selon les caractéristiques de notre existence. En effet, on ne peut pas la voir, la sentir, l’entendre, la palper, la mesurer, la prouver; elle n’est pas soumise à la naissance et à la mort, elle est au-delà / en-deçà de notre temps et de notre espace; au-delà ou en-deçà de nos capacités rationnelles. Nous devons nous détacher de toute image à son propos.

C’est pourquoi elle est innommable. Pour les juifs, son nom en quatre consonnes (Yhwh) n’est pas prononçable. Dans les psaumes, le croyant l’invoque en l’appelant Seigneur, cad maître, plutôt que par son nom. C’est « son dieu » avec une minuscule car à cette époque, chaque peuple ou tribu a un dieu qu’il invoque et est supposé lui venir au secours. J’aime de lire les psaumes en remplaçant parfois « Seigneur », le substitut de Yhwh, par « l’imprononçable » et en lisant « dieu » en minuscules.

Cette puissance a déjà produit une œuvre immense, autour de nous et en nous, mais en même temps, elle poursuit sans cesse son travail, jour et nuit, envers et contre tout. Elle est une force de vie incroyable, qui nous aide à chaque instant si nous l’appelons et parvenons à l’écouter et la reconnaître. Mais en même temps, elle est infiniment faible et dépend complétement de nous pour s’épanouir: sans nos actes et notre implication, elle n’est rien.

« Si Dieu cesse de m’aider, ce sera à moi d’aider Dieu… Je prendrai pour principe d’aider Dieu autant que possible, et si j’y réussis, eh bien je serai là pour les autres aussi…Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte. C’est à toi, au contraire, de nous appeler à rendre compte un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon cœur, que tu ne peux pas nous aider, mais que c’es à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrites en nous… Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus clairement : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t‘aider- et ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. »
– Etty Hillesum

Cette force de vie est confiance, confiance inouïe en l’improbable, elle est espérance en l’inespéré, elle est amour et sollicitude pour les plus haïssables. Mais nous risquons sans cesse de l’étouffer par l’agitation de nos vies, de la décevoir par nos hésitations et tergiversations, nos errances; ou notre suffisance.

« Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre à jour. »

La trouver, la mettre au jour, la faire naître, c’est un découvrir un véritable trésor. Elle apparaît en nous de façon imperceptible ou fugace, tout à fait incertaine, comme une faible lueur ou une minuscule semence, mais plus nous lui faisons confiance, plus nous l’écoutons et la méditons, dans le silence et la solitude, plus nous la remercions et lui sommes reconnaissants, plus alors nous la percevons à l’œuvre autour de nous, plus nous la sentons grandir en nous et autour de nous, plus elle nous envahit, plus elle nous éclaire et éclaire tout, au point d’illuminer tous les alentours.

Tout ne fait qu’un, voilà le chemin que nous avons à vivre en suivant Jésus.

« D’une manière tout à fait extraordinaire et mystérieuse, Jésus était conscient de ne faire qu’un avec Dieu, de ne faire qu’un avec tout son être, avec les autres et avec la création de Dieu toute entière … Unité et union donneraient à entendre qu’il existe deux ou plusieurs choses ayant besoin d’être unies ou unifiées… Ne faire qu’un en revanche implique que nous sommes déjà un et que nous l’avons toujours été, et qu’il s’agit seulement d’en devenir conscients. L’amour est alors ce qui émerge spontanément quand nous devenons conscients de ne faire qu’un.« 
– Albert Nolan OP3

Jean-Pierre Binamé
Fraternité Dominique Pire (Huy)


Crédit photo : iStock/Finn Hafemann

  1. Jean Ladrière: « L’articulation du sens », tome II, chap. XIII: « Sur la création », p. 308
  2. Bertrand Vergely : « Retour à l’émerveillement » Ed. Albin Michel, 2017, p. 9 (introduction).
  3. Albert Nolan OP « Suivre Jésus aujourd’hui » Ed. Novalis Cerf, 2009, p. 175

    Michel Maxime Egger parle d’une « trinité radicale entre Dieu, nous et l’univers ». Trinité radicale signifie qu’il y a une unité profonde mais sans confusion, une unité dans la distinction.
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1 commentaire
  • Merci cher Jean-Pierre pour ce partage, Thème qui touche tellement à notre intime, j’en suis très touchėe.
    Comme je suis toujours très touchée par les paroles exprimées par
    Etty Hillesum lors de sa de vie et fin de vie en camp de concentration.
    Merci à toi, fraternellement Marie-Luce

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